Niveau de preuve et dépenses de campagne

Première publication dans les 'Petites Affiches'  No 217 (30/10/2018).

 Auteur: Jean-Pierre Gamby (Docteur en droit, Professeur associé à l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines)



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La spécificité du collège, des déplacements des candidats et des électeurs des sénateurs représentant les Français établis hors de France n’explique pas à elle seule une décision inédite et complexe d’annulation d’une élection. Il est difficile de tirer de cette décision des conclusions immédiates quant au mode de computation d’une incertaine dépense de transport, ramenée ici au poste correspondant et non au plafond autorisé ou à la totalité des dépenses, et sur le niveau de preuve exigé du requérant.
 Cons. const., 27 juill. 2018, no 2017-5262 SEN Extrait : Le Conseil : (…) Le requérant soutient qu’en méconnaissance des dispositions de l’article L. 52-12 du Code électoral, M. Bansard aurait omis du compte de campagne de sa liste de candidats certaines dépenses qu’il aurait lui-même financées ou qui, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 52-8 du même code, auraient été prises en charge par des personnes morales autres que des partis politiques, et que la prise en compte des recettes et des dépenses correspondantes entraînerait le dépassement du plafond de dépenses fixé en application de l’article L. 308-1 de ce code. Le requérant soutient à ce titre que les frais du déplacement d’au moins une partie des électeurs sénatoriaux depuis leur résidence à l’étranger jusqu’au bureau de vote ouvert à Paris, aux seules fins de leur participation au scrutin, auraient été supportés soit par M. Bansard, soit, dans l’intérêt de sa candidature, par une personne morale autre qu’un parti politique. Pour le contester, sont produites en défense les attestations de 24 des 30 électeurs nommément désignés par le requérant, ainsi que celles des deux collaboratrices de M. Bansard qui auraient prêté la main à ces modalités de financement occulte. En outre, l’une de ces dernières, entendue en qualité de témoin au cours de l’enquête ordonnée par le Conseil constitutionnel, a, sous serment de dire la vérité, réitéré la teneur de son attestation. Cependant, quatre autres témoins ont, sous serment de dire la vérité, confirmé les allégations du requérant, de manière concordante et circonstanciée, en ce qui concerne le transport et le séjour à Paris d’au moins trois électeurs. Il résulte par ailleurs de l’instruction que les frais de transport, pour sa participation à la campagne électorale, d’au moins un bénévole, engagés en mars 2017, au cours de la période mentionnée à l’article L. 52-4 du Code électoral, et qui lui ont été remboursés par un chèque tiré le 4 octobre 2017 sur le compte bancaire du parti politique soutenant la liste de candidats dirigée par M. Bansard, n’ont pas été intégrés au compte de campagne, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 52-12 du Code électoral. L’engagement de ce bénévole n’a pas non plus été déclaré à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, à la différence de l’engagement de six autres bénévoles et d’au moins une partie des frais de transport imputables à leur propre participation à la campagne. L’absence d’inscription de cette somme, qui représente 43,7 % du montant des frais de transport retenu par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques au vu du compte de campagne déposé auprès d’elle, ne permet pas de regarder le compte de campagne de M. Bansard comme comportant une description sincère de l’ensemble de ses dépenses. Cette méconnaissance des dispositions de l’article L. 52-12 justifie le rejet de son compte de campagne. Il ne résulte pas de l’instruction que ces irrégularités, pour regrettables qu’elles soient, auraient eu une incidence déterminante sur le résultat du scrutin, compte tenu de l’écart de voix séparant la liste dirigée par M. Bansard des autres listes de candidats. Aussi ne sauraient-elles entraîner l’annulation de l’ensemble de l’élection dans la circonscription. En vertu du troisième alinéa de l’article L.O. 136-1 du Code électoral, le Conseil constitutionnel « prononce également l’inéligibilité du candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales ». Eu égard au caractère substantiel de l’obligation de déclaration ainsi méconnue, dont M. Bansard ne pouvait ignorer la portée, et de la part des frais de transport omis, il y a lieu, pour le manquement aux règles de financement des campagnes électorales relevé au paragraphe 3, et compte tenu des circonstances constatées au paragraphe 2, de prononcer l’inéligibilité de M. Bansard à tout mandat pour une durée d’un an à compter de la date de la présente décision et d’annuler son élection. Le Conseil constitutionnel décide : Article 1er. – Le compte de campagne de M. Jean-Pierre Bansard est rejeté. Article 2. – M. Jean-Pierre Bansard est déclaré inéligible en application de l’article L.O. 136-1 du Code électoral pour une durée d’un an à compter de la présente décision. Article 3. – L’élection de M. Jean-Pierre Bansard comme sénateur représentant les Français établis hors de France est annulée. Article 4. – Le surplus des conclusions de la requête de M. Olivier Piton est rejeté. (…) 

Cons. const., 27 juill. 2018, no 2017-5262 SEN
Faisant suite à une instruction inhabituellement longue – plus de 10 mois séparent l’élection sénatoriale du 24 septembre 2017 de la décision – témoignant d’une enquête particulièrement poussée, la décision par laquelle l’élection de Jean-Pierre Bansard est annulée et l’intéressé déclaré inéligible pour une durée d’un an a été précédée d’une campagne de presse1, dont les mises en causes réitérées contrastent avec les éléments retenus par le Conseil constitutionnel.
Tout dans la présente décision paraît donc inhabituel, à commencer par la persévérance du candidat tête de liste dont l’élection est annulée. Ce dernier, candidat malheureux voici 3 ans à la même élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France avait en effet alors contesté sans succès dix procurations, chiffre nettement supérieur à ce qu’était l’écart des voix2. L’élection de 2017 lui est nettement plus favorable, puisque la liste obtient 132 voix, soit deux sièges, à parité exacte avec la liste de Gauche unie, les deux sièges restants revenant l’un aux Républicains, dont le requérant était le deuxième de liste, et l’autre à une liste divers droite.
En dépit de la spécificité du collège et du faible nombre d’inscrits plus de 9,2 % des voix séparent donc les deux listes arrivées en tête de la troisième3, ce qui rendait vaine une argumentation seulement tirée d’abus de propagande ou des opérations de vote. Seuls des griefs financiers avaient donc quelque chance de prospérer. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui ont nourri la campagne de presse, soupçonnant des avantages en nature considérables de la part du candidat.
Le collège électoral des représentants des Français établis hors de France lui-même, composé de 533 grands électeurs4, les conditions de sa composition5 qui donnent lieu à de fréquentes contestations contentieuses, les modalités de vote6, tout contribue donc à la spécificité de cette élection et de la décision.
Il est difficile de se dégager de ce contexte, mais il faut donc se demander si, pour s’en tenir à une analyse juridique, la présente décision n’est pas plus significative par ses silences que par ses considérants, à la manière des non-dits dans le théâtre russe.

I – Sur la procédure

La décision du 27 juillet 2018 a été rendue sur une requête enregistrée le 4 octobre 2017. On peut en premier lieu s’interroger sur la recevabilité de la requête initiale, si l’on en juge par le nombre de mémoires produits de part et d’autre et le fait que c’est manifestement l’instruction plus que la requête qui apporte les éléments retenus. On peut donc supposer que la requête initiale ne développait pas précisément les griefs intervenus par la suite, et que la plupart de ces derniers ont été éliminés par le Conseil.
Conformément à l’article 33 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les moyens invoqués pour la première fois dans des documents postérieurs à la saisine, laquelle doit intervenir dans les 10 jours suivant l’élection, ne sont pas recevables7.
Si on peut donc s’interroger sur le recours initial, la seule allégation que les financements seraient illégaux, parce qu’émanant « de personnes morales autres qu’un parti politique » – ce qui exclut tout argument ultérieur portant sur l’apport d’un parti politique aux candidats – ne permettrait pas, en principe, le développement ultérieur de ces éléments, d’autant que tous les comptes de campagne ont été validés par la commission nationale des comptes de campagne.
Ceci vaudrait également pour des griefs financiers tardifs8. Lorsque des arguments liés au compte de campagne figurent dans la requête, sont alors considérés comme nouveaux, et donc irrecevables, des moyens évoquant d’autres dépenses que celles visées dans la requête initiale : le moyen tiré de la violation de l’article L. 52-8 du Code électoral, du fait de la diffusion d’une lettre par le président du conseil général de la Meuse, présenté hors délai, est irrecevable alors même que la diffusion de cette missive a été évoquée dans le recours initial9. Il en va de même, par exemple, du moyen tiré de l’omission d’une dépense10 ou de l’usage d’une photographie appartenant à une collectivité publique11.
Le fait que la décision mentionne que le requérant soutient « à ce titre » qu’une trentaine de personnes – dont, selon la décision, 24 ont démenti – auraient bénéficié d’avantages, laisse supposer que le Conseil a été particulièrement souple dans l’appréciation du développement du moyen initial.
On peut donc conclure que la procédure menée a tenu compte de la publicité donnée initialement à cette affaire et relever que si ces articles évoquent de façon explicite « l’achat de voix », utilisant par exemple l’expression « graisser la patte » au sujet des déplacements des grands électeurs et des procurations, le Conseil constitutionnel n’a pas retenu cet argument, ni aucun autre, qui relèverait, en application de l’article L. 106 du Code électoral, d’une appréciation pénale.
C’est donc à partir d’une requête sans doute bien ténue que le Conseil décide, en avril 2018, d’enquêter.

II – Sur le fond

La décision retient deux types d’« irrégularités » qualifiées de « regrettables », mais sans incidence déterminante sur les résultats du scrutin : d’une part les conditions de prise en charge de frais de transport et de séjour de trois électeurs « au moins », d’autre part la non-déclaration d’un bénévole et l’absence de prise en compte de frais de transport exposés par celui-ci en mars 2017 pour sa participation à la campagne électorale.
Ces deux points méritent analyse.
1°) Le premier point est étayé par quatre témoignages, pour trois grands électeurs. Un des témoins n’est donc nullement bénéficiaire, et en l’absence de précision sur ce point, cette personne peut être témoin de faits sans y être partie prenante, ce qui n’exclut pas qu’elle y ait pris une part active, le témoignage pouvant se retourner contre elle. Le Conseil n’indique pas non plus quelle personne morale autre qu’un parti politique aurait pris en compte des frais, ni quels sont ces frais : transports à Paris et/ou hébergement. À titre de comparaison, un des rares cas dans lesquels la participation d’une personne morale, prohibée par l’article L. 52-8 du Code électoral, a été retenue par le juge pour annuler une élection et prononcer une inéligibilité est beaucoup plus explicite12. Bref, on ne peut que constater que sur ce premier argument, la lecture de la décision ne permet pas de dégager une connaissance précise des faits.
Le Conseil retient cependant la teneur « concordante et circonstanciée » des témoignages, conformément à la jurisprudence électorale13, même si 24 des 30 personnes citées – on ne sait à quel stade de la procédure – par le requérant démentent et si un témoignage est contraire aux autres, le juge peut fixer sa conviction en fonction de tels éléments, dont on relèvera toutefois qu’ils sont exposés de façon plus elliptique que ceux retenus dans d’autres affaires par le juge électoral, confronté à des pratiques de distribution volontaire d’avantages14. Mais, dès lors qu’il considérait comme suffisamment probants les éléments en cause, le juge électoral pouvait s’en tenir au fait que les frais de transport et de séjour d’au moins trois électeurs ont été « supportés » en dehors du compte de campagne, sans pour autant qu’ils mettent en évidence le « système généralisé » frauduleux évoqué par la campagne de presse ou évoquer les procurations. Il aurait été souhaitable que ces faits soient mieux exposés. La décision pouvait s’en tenir là pour conclure au rejet du compte, mais aurait dû être plus explicite quant aux circonstances, montants, et à l’implication personnelle alléguée du candidat.
2°) C’est surtout le second point qui doit retenir l’attention. Un chèque payé par le parti politique soutenant M. Bansard pour rembourser des frais de transport d’une bénévole, émis le 4 octobre 2017, n’a pas été inclus dans le compte de campagne, ni l’activité de celui-ci déclarée.
On constatera de façon liminaire que cet argument ne figurait pas dans la requête, laquelle, il faut le répéter, ne visait que la participation d’une « personne morale autre qu’un parti politique » (cons. 2). C’est donc l’instruction qui donne lieu à cette partie de la décision. On relèvera également que ce chèque est daté du jour où la requête est introduite, à un moment où il était parfaitement possible de le faire figurer au compte en apport du parti politique, comme ce fut le cas pour d’autres bénévoles, pour d’autres dépenses.
Lorsqu’une dépense n’est pas comptabilisée, ou l’est par exemple en méconnaissance du rôle du mandataire financier, le juge électoral, pour apprécier le caractère substantiel d’un manquement, la ramène principalement au pourcentage des dépenses effectives et au pourcentage du plafond des dépenses15. Ici par contre, de façon inédite, et sans explication, le Conseil ne ramène cette dépense qu’au type de dépenses concernées. La somme – dont la décision ne donne pas le montant – représente « 43,7 % des frais de transport retenus par la commission », ce qui laisse supposer que la commission n’a pas retenu toutes les dépenses de transport présentées dans le compte. Il est paradoxal de retenir comme source d’insincérité une dépense omise alors que d’autres, du même type, ont été retranchées du compte. Par ailleurs, il est a contrario possible de déduire de cette affirmation que cette réintégration ne fait pas dépasser le plafond de dépenses et qu’elle ne représente qu’une faible part du total des dépenses. Il est donc difficile de comprendre la logique d’un comportement supposé fautif : l’intéressé n’avait aucun intérêt à ne pas faire figurer cet apport du parti politique au rang des dépenses de campagne.
Cette modalité de réintégration d’une dépense, d’un montant sans doute faible, de surcroît exposée 6 mois avant l’élection, laisse perplexe, surtout au vu de ses conséquences. Elle est entièrement novatrice et traduit un degré de sévérité inédit dans l’appréciation du caractère substantiel du manquement. Ouvre-t-elle la voie à une inflexion de la manière dont le juge considère une omission ou une irrégularité de dépenses ?
Au-delà de cette question, il convient également de s’interroger, en l’espèce, sur le caractère électoral ou non de cette dépense. Certes, le défraiement d’une bénévole par un parti politique dans le cadre d’une activité de soutien à un candidat est par principe une dépense de campagne. Mais il faut alors constater ici que la même dépense exposée par le candidat lui-même n’est pas indiscutablement une dépense de campagne s’agissant des représentants des Français établis hors de France. En l’absence de toute précision dans la décision sur la nature des frais de déplacement en cause, on peut effectivement s’interroger sur le principe même de faire figurer en l’espèce de tels frais au rang des dépenses de campagne pour plusieurs raisons.
L’article L. 330-9 du Code électoral16 dispose : « ne sont pas inclus dans le plafond des dépenses, pour l’application de l’article L. 52-11, les frais de transport dûment justifiés, exposés par le candidat à l’intérieur de la circonscription. L’État rembourse ces frais aux candidats qui ont droit au remboursement forfaitaire prévu par l’article L. 52-11-1. Le remboursement est forfaitaire, dans la limite de plafonds fixés par zones géographiques par l’autorité compétente ». L’objet du texte est de créer un remboursement forfaitaire spécifique de frais de déplacement lorsqu’une circonscription n’est pas en France. Dès lors, que faut-il entendre par le transport dans « la circonscription », ce qui n’a évidemment pas la même portée pour les élections des députés où les circonscriptions sont territorialement délimitées et celles des sénateurs ou « la circonscription » est… le monde sauf la France ? Comment faut-il considérer les déplacements « vers »17 la circonscription ou « à partir » de celle-ci ? Les frais de voyage à l’extérieur de la circonscription, c’est-à-dire en l’espèce vers ou à partir de la France, sont-ils inclus dans le champ des dépenses18 ? L’application de ce texte, manifestement conçu pour un cadre territorialement défini, ne va pas de soi s’agissant de l’élection sénatoriale.
La CNCCFP, dans une réponse à une question pour les élections des députés représentants des Français établis hors de France19 a indiqué que : « Les déplacements depuis ou vers un lieu situé en dehors de la circonscription ne doivent, en principe, pas figurer au compte. Néanmoins, si le trajet concerné est situé principalement à l’intérieur de la circonscription et qu’il concerne exclusivement des déplacements revêtant un caractère électoral, il conviendrait que le candidat inscrive une quote-part des frais afférents au déplacement concerné, en joignant les justifications appropriées au compte de campagne ». Le guide cite à ce propos une décision du Conseil d’État, laquelle ne concerne pas les représentants des Français établis hors de France, mais une circonscription métropolitaine pour l’élection des députés européens20. Cette jurisprudence est logique s’agissant de circonscriptions délimitées : elle évite d’imputer au compte de campagne des déplacements du candidat liés à sa résidence. Le guide concernant les représentants des Français établis hors de France reprend cependant spécifiquement la même distinction21. Donc, par principe, les frais de déplacement des candidats et de leurs soutiens vers ou à partir de Paris n’ont pas à figurer au compte, sauf dans des conditions limitatives.
En toute hypothèse, les frais de retour à son domicile du candidat sont exclus par la jurisprudence précitée. A fortiori, si de tels frais concernent un déplacement d’un bénévole en France ou un retour à son domicile, il est discutable de les imputer aux dépenses de campagne, puisqu’il ne s’agit pas à proprement parler d’une participation à la campagne et que de tels frais lorsqu’ils sont exposés par les candidats eux-mêmes ne sont généralement pas comptabilisables.
Le Conseil, ici encore en l’absence de toute précision concrète sur cette dépense, retient la nature électorale de l’activité, en indiquant que des frais de déplacement de six autres bénévoles sont pris en compte et en assimilant donc des dépenses retenues par la Commission, exposées en vue de l’élection et le déplacement en cause, et juge d’une manière plus générale, que l’activité de ce bénévole, exposée dans le délai de 6 mois avant l’élection, aurait dû figurer au compte, lequel est ainsi taxé d’insincérité.
À titre de comparaison, on constatera que l’activité en vue de l’élection d’un collaborateur salarié d’un sénateur, exposée pendant sa période de travail, n’a pas été retenue, dans une décision pourtant proche dans le temps, comme un élément suffisant pour justifier l’annulation ni même donner lieu à enquête22 : cette précédente décision exige de la part des requérants un degré de preuve particulièrement élevé, alors qu’il est au cas d’espèce indiscutable que la dépense a bien été établie en vue de l’élection et sans nul doute pour un montant supérieur à celui en cause dans la présente décision.
On ne peut donc au final qu’être surpris de cette partie de la décision, qui ouvre plus de questions qu’elle n’en résout : la participation de ce bénévole est seulement mise en évidence par l’instruction – a-t-il été entendu ? –, on n’en connaît ni la teneur, ni la durée – sauf qu’il s’agit d’une période assez éloignée de l’élection –, on peut s’interroger sur le fait que les frais en cause sont bien des frais de campagne, et, surtout, les conditions de l’appréciation du caractère substantiel du manquement sont inédites. Pour accroître la perplexité, on voit mal l’intérêt qu’aurait eu la liste à dissimuler une telle dépense, alors que, manifestement, la commission a par ailleurs retiré certaines dépenses de transport.
En toute hypothèse, le raisonnement qui conduit dans un cas précédent où la preuve existe, à exonérer, dans l’autre à qualifier le compte d’insincère paraît difficile à justifier, en l’absence de davantage d’explicitations sur ce second point dans la décision.
Seule l’élection de la tête de liste est prononcée, et son inéligibilité pour une durée d’un an. En application de l’article L.O. 320 du Code électoral, s’agissant d’une élection sénatoriale au scrutin de liste23, la seule incidence s’agissant du siège laissé vacant par l’annulation de l’élection de M. Jean-Pierre Bansard au Sénat est donc le remplacement par le candidat premier non élu de liste, tandis que l’élection de Mme Renaud Garabedian, deuxième de liste, est confirmée. Un an d’inéligibilité, durée qui ne fait pas obstacle à la participation à la prochaine élection sénatoriale, ne correspond donc pas à un comportement gravement fautif comme celui reproché par la presse au candidat.
Concluons, au moins, que cette décision manque au devoir pédagogique du contentieux électoral, et que le juge, ou à défaut le législateur, devrait préciser davantage les conditions financières d’une élection, lorsqu’elle ne concerne qu’un nombre si restreint d’électeurs et suppose des voyages lointains.

Notes de bas de page


 1 –
Témoin, entre autres, un extrait de Valeurs actuelles, daté du 31 juillet 2017, faisant suite à de précédents articles, évoquant un « système frauduleux d’achat de voix à grande échelle » : « le système ne s’arrêterait pas là selon le requérant : ces conseillers consulaires, la patte graissée, étaient chargés de voter une deuxième fois en prenant en charge la procuration d’un autre grand électeur, dont la patte avait elle-même été graissée, quelques mois plus tôt. Le jour du scrutin, ses hôtes étaient ensuite gracieusement acheminés en taxi jusqu’aux bureaux de vote après une halte dans un commissariat du 8e arrondissement afin de déposer leurs procurations. Selon Olivier Piton, près de la moitié des 101 procurations enregistrées pour ce scrutin auraient été en faveur de Jean-Pierre Bansard… Ces informations, le plaignant les détenait d’un certain François Lubrina, conseiller consulaire pour la circonscription de Montréal, en position éligible sur la liste de Jean-Pierre Bansard et au cœur de ce dispositif, avant d’être remercié par le futur sénateur quelques mois avant le scrutin de septembre. De quoi nourrir une certaine vengeance ». On peut également citer la déclaration du sénateur Jean-Yves Leconte, élu sur une liste concurrente, le 24 septembre 2017 sur la chaîne Public Sénat qui se dit « outragé », évoque une « faute morale », indique que « dès demain (…) on apportera un certain nombre d’éléments au moment des recours et (…) au procureur » mais conclut cette intervention par le fait qu’il n’introduira pas de contentieux électoral.
 2 –
Cons. const., 13 févr. 2015, n° 2014-4900 SEN.
 3 –
Listes Voix % Exprimés Sièges
Bansard 2017 : La voix des Français de l’étranger (LDVD) 132 25,34 2
Liste Français du Monde, (LSOC) 132 25,34 2
Union pour les Français de l’étranger (LLR) 84 16,12 1
Agir ensemble pour les Français de l’étranger (LDVD) 58 11,13 1
Ensemble, une force pour les Français de l’étranger (LREM) 50 9,60 0
 4 –
L’article 44 de la loi du 22 juillet 2013 prévoit que le collège est composé des députés et sénateurs RFEHF, des conseillers consulaires et des délégués consulaires.
 5 –
Pour un message électronique émanant d’une association : CE, 28 nov. 2014, n° 381020.
 6 –
L’article 51 prévoit un vote au ministère des Affaires étrangères ou de l’ambassadeur ou du chef de poste consulaire, et l’article 53 du même texte un vote par procuration.
 7 –
Cons. const. 5 janv. 1959, n° 58-91, AN Aisne, 4e circ. ; CCP, 20 oct. 1993, n° 93-1234/1319, AN Seine-Saint-Denis, 7e circ.
 8 –
V. plusieurs décisions du Conseil constitutionnel du 14 décembre 2012, dont Cons. const., 14 déc. 2012, n° 2012-4648, AN Bouches du Rhône, 4e circ. ; Cons. const., 1er déc. 2017, n° 2017-5164 ou Cons. const., 1er déc. 2017, nos 2017-5085 et 2017-5117 ; pour des affiches : Cons. const., 8 déc. 2017, n° 2017-5115, AN Hérault, 6e circ. ; pour l’utilisation d’un compte Facebook : Cons. const., 8 déc. 2017, n° 2017-5102, AN Loiret, 5e circ.
 9 –
Cons. const., 8 nov. 2001, n° 2001-2598, Sénat, Meuse, Dumez.
 10 –
Cons. const., 5 déc. 2002, n° 2002-2669, AN Rhône, 14e circ.
 11 –
Cons. const. 30 janv. 2003, n° 2002-2764, AN Réunion, 1re circ.
 12 –
Cons. const., 26 juin 2008, n° 2008-4509, AN Eure-et-Loir, 1re circ. : « considérant que, loin de se désolidariser de la campagne de la société Sodichar, Mme Vallet a repris à son compte la défense du projet de cette société pour en faire un élément de sa propre propagande ; qu’elle s’est associée à cette campagne de façon directe, active et réitérée ; qu’elle a organisé une visite de l’hypermarché de cette société par une personnalité nationale de son parti, Mme Ségolène Royal, visite largement relayée par la presse locale comme en témoignent les articles et les photographies publiées ; qu’elle s’est jointe à la manifestation du personnel de cet hypermarché organisée, comme il a été dit ci-dessus, entre les deux tours de l’élection devant la mairie de Chartres ».
 13 –
CE, 20 déc. 2017, n° 409696 : « d’une part, si les protestataires soutiennent qu’un candidat aurait remis des enveloppes d’argent en liquide à des personnes en difficultés financières en vue d’obtenir leur suffrage, ils n’apportent à l’appui de ces allégations qu’une attestation signée par une personne susceptible d’avoir bénéficié de ce versement en contrepartie de sa voix, mais qui ne précise ni la somme qui lui a été proposée, ni le nom du candidat qui lui aurait directement ou par l’intermédiaire d’un tiers, fait cette proposition. Compte tenu de son caractère imprécis et en l’absence d’autres éléments résultant de l’instruction venant à l’appui de ce grief, il doit être écarté ».
 14 –
CE, 8 juin 2009, n° 322236, élections de Corbeil-Essonnes : « d’une part, plusieurs habitants de Corbeil-Essonnes ont attesté avoir eu directement ou indirectement connaissance de dons d’argent effectués par M. D. en faveur d’habitants de la commune, y compris dans la période précédant les opérations électorales ; que l’un d’entre eux, présent à l’enquête, a formellement réitéré son témoignage dans des conditions conduisant à tenir pour établis les faits ainsi relatés… d’autre part, dans un document audiovisuel portant sur un échange entre les deux candidats pendant la campagne électorale et versé au dossier, M. D., interpellé sur l’existence de dons en argent aux habitants de la commune, ne conteste pas l’existence de telles pratiques mais en minimise la portée et nie qu’elles aient eu un caractère électoral ; que si M. D. a porté plainte contre certains des témoins mentionnés ci-dessus et si, interrogé sur ce point lors de l’audience d’instruction, il a indiqué que la réponse qu’il donne dans le document audiovisuel correspond à un trait d’humour, ces arguments ne sauraient ôter leur caractère probant aux éléments qui établissent l’existence de pratiques de dons en argent d’une ampleur significative à destination des habitants de la commune ». Il est à noter que dans cette affaire, qui a en outre donné lieu à des poursuites pénales, l’élu déclaré inéligible avait, en contrepartie, obtenu en se défendant l’inéligibilité du requérant pour usage des moyens d’une collectivité publique. Ici le requérant, qui n’était pas élu, ne courait pas un tel risque. Au demeurant, la décision ne porte aucune trace d’un grief formulé par la défense à l’encontre d’autres élus.
 15 –
Cons. const., 2 févr. 2003, n° 2003-3152, AN Eure-et-Loir, 1re circ. : « le reliquat des dépenses concernées, soit 546 €, représente 2,1 % du montant des dépenses du compte de campagne postérieures au 18 décembre 2001, tel qu’il a été réformé par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, et 0,9 % du plafond fixé à 62 333 € pour l’élection considérée ; leur montant est donc faible par rapport au montant des dépenses du compte de campagne postérieures au 18 décembre 2001 et négligeable au regard du plafond de dépenses ».
 16 –
Cet article est transposé par effet de l’article L. 308-1 du Code électoral, lequel rend applicable l’article L. 52-11 du Code électoral aux élections sénatoriales. Le rapport public de la CNCCFP 2017 (p. 75) y inclut les frais de transport de l’« équipe de campagne » mais pas ceux des prestataires et précise que le dépassement du plafond de remboursement donne lieu à un remboursement au titre des autres dépenses du candidat.
 17 –
Cet article a été introduit dans le Code électoral par ordonnance du 31 juillet 2009, donc la référence aux travaux préparatoires n’est pas pertinente
 18 –
Dans le même sens pour des réunions politiques en dehors de la circonscription, non retenues : CE, 5 juin 2013, n° 363936.
 19 –
V. annexe relative aux frais de déplacement à l’intérieur de la circonscription, p. 16 du complément
 20 –
CE, 3 déc. 2010, n° 336853 : « Considérant qu’il résulte de l’article L. 52-12 du Code électoral que les frais de transport ou de déplacement ne peuvent, en principe, faire l’objet d’un remboursement que s’ils ont été engagés pour des transports ou des déplacements ayant eu lieu à l’intérieur de la circonscription électorale ; qu’il en va, toutefois, de même pour certains transports et déplacements effectués en dehors de la circonscription et notamment ceux revêtant un effet utile en vue de l’élection pour se rendre à la préfecture, à l’imprimerie, à la banque, chez l’expert-comptable ou pour assister à des réunions publiques communes à plusieurs candidats ».
 21 –
« En l’absence de dispositions législatives particulières, le principe qui prévaut est que les frais de transport exposés par le candidat pour se rendre de son domicile, s’il se situe en dehors de la circonscription, dans cette circonscription ne doivent pas figurer au compte de campagne (v. aussi le paragraphe 4.2.13, « Transports et déplacements » du Guide du candidat et du mandataire). Néanmoins, si des déplacements depuis ou vers un lieu situé en dehors de la circonscription sont effectués, qu’ils présentent un caractère électoral et que le trajet correspondant est situé en majeure partie dans la circonscription, le candidat pourra faire figurer les frais afférents à son compte de campagne, en y joignant les justifications appropriées ». La dépense en cause répond-elle à ces critères ?
 22 –
Cons. const., 6 avr. 2018 : « si les requérants soutiennent que l’intéressé aurait assumé les fonctions de directeur de campagne de cette liste avant la date du 1er septembre 2017, ils ne l’établissent pas par la production d’un unique courriel adressé aux différents colistiers le 28 août 2017, les convoquant à une réunion de préparation de la campagne électorale le 31 août 2017. »
 23 –
Cons. const., 11 juin 2015, n° 2015-4926, SEN Calvados et même date n° 2015-4926, SEN Aube ; v. le comm. du Conseil.



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